Si garder des titres à long-terme dans un portefeuille présente de nombreux avantages, comme la distribution de dividendes, l’effet des intérêts composés ou encore la faible importance des nouvelles à court terme sur les cours, il arrive qu’il soit préférable de s’en séparer.
De manière générale, quel que soit l’objectif de gestion d’un portefeuille, si les raisons initiales d’un investissement ont disparu, il devient nécessaire de se poser la question de le conserver.
En réalité, la question n’est pas de savoir s’il faut garder ou vendre un titre mais plutôt de se demander s’il serait toujours pertinent de l’acheter aujourd’hui ?
Cette stratégie de gestion qui consiste à « challenger » en permanence les titres composant un portefeuille permet de réduire le coût d’opportunité lié au fait d’arbitrer ou pas vers un autre investissement présentant un meilleur potentiel.
L’évolution du cours d’une société est principalement (pour ne pas dire uniquement) liée à la croissance de son bénéfice. Par conséquent, anticiper une baisse structurelle de ce dernier, est une bonne raison pour réduire ou vendre cette position.
De la très radicale « disruption à la Nokia », où la société perd pratiquement la totalité de son chiffre d’affaires du jour au lendemain ; à un changement d’habitude des consommateurs entrainant une lente dégradation des parts de marchés de l’entreprise, les raisons d’une baisse des bénéfices à long terme sont multiples.
De plus, pour certaines sociétés, croissance du chiffre d’affaires ne rime pas forcément avec croissance des bénéfices. Là aussi les raisons sont multiples, comme les lourds investissements nécessaires au développement de l’entreprise ou au maintien de sa position concurrentielle et technologique.
Lorsque l’on considère l’éventualité de vendre une société, la question de la valorisation est aussi primordiale. En effet, quand un grand nombre d’investisseurs spécule sur le succès futur d’une entreprise, il se peut que le cours de celle-ci progresse plus vite que ses anticipations de bénéfices. En bref, les investisseurs deviennent trop complaisants vis-à-vis la société, acceptant des valorisations inappropriées au motif que le succès passé continuera à s’amplifier. Cela se traduit par des multiples de valorisation extrêmement élevés. Comme les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et qu’en cas d’espoirs déçus, les retournements en bourse sont parfois brutaux, il devient nécessaire de réduire ou vendre cette position.
Prenons un exemple de circonstance qui alimente toutes les discussions, la société Nvidia :
- 1ère capitalisation mondiale (3600 milliards de dollars, soit le PIB du Royaume-Uni).
- Un cours de bourse multiplié par 24 sur les 5 dernières années (+2400%).
L’action est présente dans les trois grands indices américains et pratiquement tous les fonds de croissance. Elle est responsable à elle seule d’une partie considérable (20% en 2024) de la performance extraordinaire du S&P500 de ces dernières années.
Pourtant, l’histoire nous a montré qu’en bourse les leaders d’aujourd’hui sont rarement ceux de demain ! Quelle sera cette fois la raison qui fera tomber la reine de son piédestal ?
Pour rappel, Nvidia est le premier fabricant au monde de puces graphiques (GPU). Présente depuis plus de 20 ans, notamment pour les jeux vidéo, elle doit son explosion récente à l’utilisation de ses puces dans les domaines de l’intelligence artificielle (IA). Ce qui s’annonce comme LA nouvelle révolution industrielle dans laquelle des sociétés comme Alphabet, Amazon, Microsoft et Meta, pour ne nommer que les plus grandes, dépensent des sommes considérables. C’est d’ailleurs l’augmentation significative des dépenses en IA des grandes entreprises d’informatique en cloud et internet grand public qui a soutenu les bénéfices colossaux de Nvidia au cours des 18 derniers mois (19 milliards de dollars lors du dernier trimestre).
En termes de croissance des bénéfices, Nvidia affiche un parcours hors-norme avec une hausse moyenne de son bénéfice net de 100% par an sur les 10 dernières années ! Pour la suite, les analystes anticipent des taux de croissance de 120% en 2025, 40% en 2026 et 20% en 2027. La tendance des taux est clairement baissière. Quelle en est la cause ?
Tout d’abord, Nvidia subit de manière récurrente des contraintes d’approvisionnement. L’entreprise a annoncé qu’elle avait épuisé ses nouvelles puces Blackwell (moins énergivore et dotée d’une puissance de calcul 1000x supérieure aux puces fabriquées il y a 8 ans) pour les 12 prochains mois.
Ensuite, si les entreprises qui ont choisi d’autres modèles de conception de puces comme AMD ou Intel ne semblent pas en mesure de concurrencer la technologie de Nvidia. Son leadership étant aussi lié aux actifs incorporels associés à la conception des GPU, ainsi qu’aux logiciels dont les développeurs ont besoin pour travailler. En revanche, le fait que l’IA connaisse un ralentissement de la croissance de ses investissements pourrait entrainer une baisse de son carnet de commande. De plus, il est inévitable que ses principaux clients, fournisseurs de solutions, comme Amazon, Microsoft, Google et Meta, cherchent à réduire leur dépendance à l’égard de Nvidia et à diversifier leur accès aux semi-conducteurs et aux logiciels, y compris à travers le développement de solutions en interne.
En termes de valorisation, le titre se paie 53x les profits de cette année et 37x les profits de l’année prochaine. C’est presque « soldé » quand on compare aux 117x de 2023 (à titre indicatif, la valorisation actuelle du S&P500 est de 25x les bénéfices). Cette valorisation élevée s’explique par cette croissance exceptionnelle du chiffre d’affaires assortie d’une marge brute exceptionnelle et d’un résultat après impôts attendu à 53% du chiffre d’affaires pour l’année prochaine. Reste qu’à ces niveaux, la société a intérêt à confirmer les attentes élevées des investisseurs, sans quoi la sanction sera radicale. Rappelons-nous la chute du titre de 66% entre novembre 2021 et octobre 2022 !
La juste valeur (Fair value) de la société est 30% inférieure au niveau de cour actuel, en d’autres termes, le titre est largement surévalué… La sagesse conseillerait donc de réduire l’investissement, mais avec la sagesse nul ne serait resté investi pendant 10 ans dans Nvidia et ne pourrait se prévaloir aujourd’hui de gains substantiels. Difficile dilemme…
En revanche vu la taille actuelle de l’entreprise, on peut raisonnablement estimer qu’une bonne partie de la hausse a été réalisée et que l’on est plus près de la fin de l’histoire que du début.
Comme souvent, c’est probablement la conjonction entre (plus) faible croissance et valorisation élevée qui impactera durablement le cours du titre. Gageons que cela se passera en douceur…