Les taux japonais : le canari dans la mine?

La Bank of Japan (BoJ) a relevé son taux directeur à 0,5 % en janvier 2025, le niveau le plus élevé depuis 17 ans, tout en étant ouvert à de futures hausses si l’inflation et la croissance le justifiaient. Le taux à 10 ans est monté de 0,80% en septembre 2024 à 1,60% en juillet 2025. Ceci représente un pivot majeur dans un pays qui a longtemps maintenu une politique ultra-accommodante pour gérer sa dette colossale. Cette évolution pourrait bien entraîner des répercussions significatives sur les marchés financiers mondiaux.

Pourquoi le Japon relève-t-il ses taux ? Le Japon détient la deuxième dette publique la plus élevée au monde, à 237% du PIB, financée historiquement par des taux d’intérêt quasi nuls ou négatifs. Cette stratégie a permis de contenir les coûts d’emprunt et de stimuler une économie stagnante, marquée par une déflation persistante. Cependant, avec une inflation autour des 3% depuis 3 ans (au-delà de l’objectif de 2% de la BoJ), et une reprise économique postpandémie, la banque centrale a entamé une prudente normalisation. Les hausses de taux visent à ancrer les attentes inflationnistes tout en évitant un choc brutal, mais elles interviennent dans un contexte de risques globaux accrus.

La hausse des taux au Japon n’est pas un événement isolé, elle agit comme un catalyseur dans un système financier global dont les principaux canaux de transmission sont les suivants :

1. Dénouement du “carry trade” et volatilité accrue :  

Depuis des années, les investisseurs mondiaux ont usé du « carry trade », concept qui consiste à emprunter en yens à bas coût pour investir dans des actifs à rendement plus élevé, comme les actions américaines ou les obligations émergentes. Une hausse des taux japonais rend cette stratégie moins attractive ; ce qui pourrait entraîner des ventes plus ou moins massives d’actifs risqués. Un épisode similaire a déjà provoqué une chute des marchés mondiaux à l’été 2024. Si les hausses de taux se poursuivent, nous pourrions également assister à une contagion vers les marchés émergents, où les flux de capitaux, historiquement faibles, peuvent se tarir rapidement.

2. Renforcement du yen et pression sur les actifs globaux :  

Des taux plus élevés attirent les capitaux vers le Japon, appréciant le yen face au dollar ou à l’euro, mais cela pénalise les exportateurs japonais comme Toyota et Sony. Sur les marchés obligataires, les rendements des Japanese Government Bonds (JGB) augmentent, poussant à la hausse les rendements globaux, ce qui élève les coûts d’emprunt de manière plus généralisée. Dans un marché largement surreprésenté par un secteur technologique très sensible aux taux d’intérêts pour financer sa croissance effrénée, on imagine aisément l’effet dramatique que pourrait avoir une hausse des coûts de financement sur des sociétés déjà fortement valorisées. Les plus pessimistes diraient qu’il n’en faudrait pas plus pour faire exploser la « bulle » de l’IA.

3. Impacts sur la perception des risques d’endettement des États :

Le Japon sert de “canari dans la mine” pour les états très endettés. Sa capacité à supporter une dette massive sans crise repose sur des taux bas depuis des décennies et une base d’investisseurs domestiques fidèles (banques et ménages japonais) détenant la dette du pays.

Avec des coûts d’intérêt en hausse, le service de la dette pourrait nécessiter une part croissante du budget à son fonctionnement, forçant des coupes budgétaires ou des hausses d’impôts. Si le Japon montrait des signes de stress, cela ébranlerait la confiance globale dans les modèles d’endettement élevé.

Une normalisation des taux au Japon rappelle que ces derniers pourraient ne pas rester bas éternellement, à l’image de ce qu’ont connu les Etats-Unis et l’Europe au sortir de la crise Covid. En effet, les investisseurs exigent des primes de risque plus élevées pour les obligations souveraines des états dont le surendettement semble difficile à enrailler, augmentant les coûts d’emprunt pour ces derniers. C’est exactement le cas des USA (dette à 124% du PIB) ou de la France (dette à 113%) qui se financent aujourd’hui sur les marchés à des taux plus élevés que le Portugal, l’Irlande ou même la Grèce, qui ont su mettre en place de solides réformes en vue d’assainir leurs finances publiques. Cela renforce l’idée que les dettes ne sont pas infiniment absorbables sans inflation ou croissance.

De plus, la volonté de garder des taux bas n’appartient pas totalement aux banques centrales. En effet des pressions inflationnistes accrues peuvent mettre à mal toute politique accommodante. Les hausse des droits de douanes, les politiques anti-migratoire qui réduisent la quantité de main d’œuvre, l’augmentations des budgets de défense, la dépréciation des devises par l’usage abusif de la planche à billet, la surrèglementation, la hausse des primes d’assurance due à l’augmentation des catastrophes naturelles, les mouvements haussiers des prix de l’énergie sont autant de facteurs inflationnistes bien réels avec lesquels il faut composer.

En conclusion, la hausse des taux au Japon n’est pas qu’une affaire locale. Elle teste les fondations d’un système financier mondial dopé aux liquidités bon marché. À court terme, dans le mouvement de hausse actuel, on pourrait assister, au mieux, à une hausse de la volatilité, au pire, à un sell-off des actifs les plus risqués. A long terme, cela pourrait recalibrer la perception des risques liés aux dettes souveraines excessives, rendant les marchés plus sensibles aux chocs politiques ou économiques.

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