L’amour est dans le pré… ou pas !

Les revendications des agriculteurs se manifestent sur toute l’Europe. Elles touchent des pays aussi différents que l’Allemagne, la France, la Belgique, l’Espagne ou encore l’Italie. En cause, au-delà des préoccupations financières de ce secteur : équilibre financier des exploitations, revenus des paysans, nous entendons la contestation de plus en plus virulente des règles administratives qui régissent leur activité à travers la Politique Agricole Commune de l’UE, et ses transpositions plus ou moins tatillonnes dans chaque pays de l’Union. Ce n’est évidemment pas la seule revendication. Paradoxe que de contester le premier budget de l’UE qui, avec 264 Mds d’euros va absorber pourtant plus de 30% de ses ressources ? Le terme de « bureaucratie étouffante » ressort de leurs doléances. Bureaucratie : les agriculteurs stigmatisent la conjugaison délétère d’une addiction européenne à la codification avec son administration qui en décline la conformité documentaire avec une accablante méticulosité. La Bureaucratie aujourd’hui métastase, en Europe, tous les secteurs d’activités à des degrés différents en fonction de l’appétence au risque de nos institutions. Mais, rappelons-nous – notamment en cette année d’élection européenne – que cette appétence aux risques est d’abord le reflet de la nôtre, citoyens électeurs.

Le diable est dans les détails. A l’origine, les enjeux de la PAC visaient à favoriser une concurrence saine et équilibrée sur les marchés agricoles, vecteur d’efficacité, de création de richesses et de progrès. Hélas, une lecture trop égalitariste de situations de plus en plus divergentes au sein de l’union ainsi que les contraintes nées de la mondialisation ont conduit, au cours des dernières décennies, les responsables européens à bâtir des superstructures réglementaires démesurées qui, – agriculture, santé, finance, écologie, énergie etc. – conduisent les activités économiques vers la congestion. Les lourdeurs administratives – euphémisme pour désigner cette Bureaucratie – entraînent mécaniquement des répercussions significatives sur les sociétés, quelle qu’en soient leurs tailles. Evidemment les plus petites deviendront, dans ce cadre, les plus vulnérables. Ainsi La Bureaucratie produit, trente ans plus tard, le contraire de ce pour quoi elle fut initialement organisée.

Polémique ? Les conséquences s’apprécient sur plusieurs plans :

Perte de productivité :  Les sociétés consacrent une part plus ou moins importante de leurs ressources (principalement humaines, mais aussi IT) à compiler formulaires ou états administratifs et statistiques en vue de documenter sa conformité à des procédures émanant de directives d’autant plus complexes qu’elles visent à s’appliquer à toute l’Europe. Plus la masse réglementaire est importante, plus les ressources à y consacrer devront être grandes. Ainsi, l’entreprise se distrait de ses objectifs techniques ou commerciaux pour investir des fonctions de supports, sans autre réelle contrepartie pour sa pérennité que la conformité à des règles. De surcroît, la charge administrative étant souvent un prescrit lié au secteur d’activité de l’entreprise – plus rarement proportionnel à sa taille – son coût affecte plus vigoureusement les petites infrastructures. La fronde des agriculteurs est d’abord celle des plus petits. Ils subissent, plus que d’autres, les conséquences de lourdeurs qui détournent une part significative de leurs ressources de leur fonction essentielle de producteur de valeur.

Coûts financiers sur l’exploitation : la conformité entraîne mécaniquement des coûts pour une mise en place de procédures mais aussi des contrôles de leur bonne application, qui se répercutent sur la marge finale de l’entreprise. Bien souvent, il faut consentir à l’embauche de personnel dédié à ces responsabilités ou, ce qui revient ici au même, les outsourcer auprès de spécialistes extérieurs. Les entrepreneurs, qui sont les seuls agents économiques créateurs de valeur, donc moteur de la croissance et garants de la santé de nos économies de demain, doivent assumer ces charges additionnelles de mise en place, venant ainsi réduire la rentabilité de leur modèle, voire dans certains cas, participer à sa chute.

Ralentissement des processus de création de valeur : les contraintes liées à la règlementation ralentissent les prises de décision ou l’exécution de certaines tâches, nuisant ainsi à la réactivité d’une organisation, avec toutes les conséquences que cela peut entrainer, comme la satisfaction client, l’incapacité à tenir des délais de réponse ou de livraison, la vitesse d’adaptation au marché.

Progrès et innovations restreints : Les investissements consacrés, en temps, énergie ainsi que les moyens matériels et financiers mis à disposition des besoins administratifs ne sont mécaniquement pas dirigés vers l’innovation. Ces ressources feront défaut par rapport aux concurrents soumis à une réglementation plus légère, par exemple si leur zone géographique est située dans un pays moins contraignant.

Les quatre raisons que nous venons de pointer, pondèrent, pour les investisseurs, le rendement du capital qu’ils mettent à disposition des entreprises ; plaçant ces dernières en situation de concurrence défavorable sur les marchés de capitaux par rapports aux entités moins contraintes de ce point de vue. Malheureusement, le fait Bureaucratique nourrit encore d’autres nuisances.  

Risque de non-conformité : le non-respect des règles administratives entraine des sanctions financières ou administratives qui écorne la réputation d’une société ou d’une marque. Les amendes qui peuvent en découler, ou les mises en place de procédures, entrainent des risques financiers de mise en conformité souvent non négligeables. Plus l’exigence réglementaire sera élevée, plus les sociétés auront du mal à s’y adapter.

Frustration des salariés : plus les processus administratifs sont lourds et complexes, plus les salariés dévolus à ces taches perdent le sens de leur mission générant ainsi des frustrations en lien avec leur activité. Cette perte de sens a des résonances différentes selon les personnes et les évènements vécus mais il nourrit une perte d’intérêt, un désinvestissement pour le projet d’entreprise qui peut conduire à une sensible augmentation des turnovers dans les sociétés. 

La granularité de la complexité règlementaire pénalise particulièrement les petites sociétés dans leur recherche de conformité et d’adaptation. Ces règles entrainent, contrairement aux valeurs de saine concurrence initialement érigées, un coût d’accès au marché plus élevé synonyme de protectionnisme. Les grandes sociétés évitent ainsi l’émergence de concurrents capable de les défier sur leurs métiers du fait de coûts de structure difficilement amortissables à petite échelle. Répercussion non négligeable pour les consommateurs que nous sommes, nous devrons supporter la charge de cette réglementation dans le prix des produits ou services que nous achetons. Nous subissons l’absence de pleine concurrence ainsi que son caractère inflationniste qui impactent notre pouvoir d’achat.

Pour conclure et illustrer ce réquisitoire, nous évoquions, en préambule, les agriculteurs européens mais, conséquence également importante pour de nombreux citoyens Européens. Souvenons-nous que le Brexit demeure en partie le fruit des frustrations britanniques née de différents points relevés ici.

Utilité de la régulation

Cependant, il convient de ne pas oublier pourquoi ces codifications et leur administration ont été conçues. Le point de départ est la volonté de protéger le concitoyen, le consommateur et le salarié. Il s’agit, en effet, d’ériger une protection de consommateurs qui, dans bien des cas, ne sont pas capables de juger de la qualité, voire la dangerosité d’un produit. Les normes de qualité ou de sécurité permettent ainsi de consommer en s’appuyant sur un régulateur qui assume des standards de qualité que nous réclamons et dont les contrôles seront les garants de nos acquisitions.

Le secteur financier reste également un des apanages de cette réglementation qui garantit la stabilité financière de nos institutions, l’attractivité de nos places mais aussi la pérennité des sociétés avec lesquelles, entreprises ou particuliers, nous travaillons et nous consommons.

Finalement, une fois de plus, nous sommes renvoyés au débat antagonique entre la liberté et la sécurité.

Accepterons-nous de troquer notre sécurité au bénéfice de la liberté (d’entreprendre) avec toutes les contradictions que cela engendre puisque nous voulons en même temps la liberté de créer dans une Société organisée sur le concept du Zéro défaut ? Toute la difficulté de nos leaders politiques et de nos régulateurs réside dans le dépassement de cette équation impossible à résoudre : la place optimale du curseur que nous fixons entre sécurité et liberté. Au risque, si nous ne sommes pas capables de contrôler leurs actions, de nous retrouver dans le pire des mondes : une bureaucratie décérébrée qui, ne recherchant plus l’équilibre minutieux de la liberté sous contrainte, s’auto-alimente de ses propres productions pour en créer de nouvelles à l’image du technocrate replié dans sa tour d’ivoire, incapable de concevoir les répercussions de ses décisions avant qu’elles ne deviennent explosives.

 

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